GERARD DE NERVAL
voir NERVAL sur dérives , Voyage en orient
Colonne de Saphir, d'arabesques brodée,
_ Reparais!_ Les Ramiers pleurent, cherchant leur nid :
Et, de son pied d'azur à ton front de granit
Se déroule à longs plis la pourpre de Judée!
Si tu vois Bénarès* sur son fleuve accoudée
Prends ton arc, et revêts ton corset d'or bruni:
Car voici le Vautour**, volant sur Patant***
Et de papillons blancs la Mer est inondée.
MAHDEWA****! Fais flotter les voiles sur les eaux,
Livre tes fleurs de pourpre au courant des ruisseaux:
La neige du Cathay***** tombe sur l'Atlantique:
Cependant la Prêtresse******, au visage vermeil,
Est endormie encor sous l'Arche du Soleil:
_ Et rien n'a dérangé le sévère Portique.
notes de nerval
* Ben-Arès _ la fille de Mars
** Typhon
***Patna ou hiéro_solime, la Ville Sainte
****Mahadoé la Zendovère
*****Thibet
******Amany
poème 1
les commentaires de Nerval sont toujours surprenants.
le résultat est un peu fou, d'autant que ce poème remanie une autre version que les variantes compliquent à plaisir,
Colonne de saphir, d'arabesques brodée,
Reparais! Les ramiers s'envolent de leur nid,
De ton bandeau d'azur à ton pied de granit
Se déroule à longs plis la pourpre de judée.
Si tu vois Bénarès, sur son fleuve accoudée,
Détache avec ton arc ton corset d'or bruni
Car je suis le vautour volant sur Patani,
Et de blancs papillons la mer est inondée.
Lanassa! fais flotter tes voiles sur les eaux!
Livre les fleurs de pourpre au courant des ruisseaux.
La neige du cathay tombe sur l'Atlantique.
Cependant la prêtresse au visage vermeil
Est endormie encor sous l'arche du soleil,
Et rien n'a dérangé le sévère portique.
poème 2
lequel viendrait d'une version d'un pantoum malais, déjà mentionné dans les orientales de Hugo. (in la Pléïade I)
Les papillons voltigent sur la mer
Qui du corail baigne la longue chaîne:
Depuis longtemps mon coeur sent la peine,
Depuis longtemps j'ai le coeur bien amer.
Les papillons voltigent sur la mer ;
Et vers Bandan un vautour tend ses ailes:
Depuis longtemps belle parmi les belles ,
Plus d'un jeune homme à mon regard fut cher.
Et vers Bandan un vautour tend ses ailes ;
Ses plumes, là, tombent sur Patani:
Plus d'un jeune homme à mon coeur fut uni ;
Mais tout le cède à mes amours nouvelles.
poème 3
ERYTHREA est un poème de crise, un poème qui bouscule les conventions, qui volontairement cherche des associations inconscientes et crée un texte d'une rare liberté
chacune des versions remaniées par Nerval présente des glissements, des transformations, des effacements ,
la datation semble difficile, ces poèmes n'ont pas été publiés, sans doute vers 1841, peut être plus tard.
le poème ne peut s'interpréter qu'à travers des hypothèses très aléatoires .
Benarès est un
des coeurs du poème, grâce à ce texte on voit que cette ville
est connue,
Bénarès sur son
fleuve accoudée
définit parfaitement son paysage,
c'est une connaissance transmise, intégrée par Nerval, et
associée à d'autres villes saintes Patna ou
Hiéro Solime. Si Patna existe, Hiero Solime
fait penser immédiatement à Jérusalem que Nerval s'emploie à
décomposer (hiéros -saint/ solima, Salomon, JL Steinmetz.
Pleiade I, p 1382)
on est dans un écho de villes saintes, de lieux de prières, ou de présence divine
mais c'est plus compliqué, car visiblement
la rime appelée, est Patani,
qui rime avec bruni,
retransformé d'un poème à l'autre (poème 2 et 3), où l'on
retrouve Labruni nom de Nerval
(voir plus loin)
MAHDEVA est un autre coeur du poème, qui a des coeurs un peu partout,
selon les notes de M. JL Steinmez (Pléiade
III) c'est un des noms de SHIVA
d'après une pièce de théâtre jouée à l'Odéon,
d'après un livre sur les religions indoues,
d'après Goethe
on voit mieux ainsi d'où Nerval tire ses
connaissances mais en rajoutant
Madoé la
zendovère,
(Goethe) ce qui ne manque pas de sel! Nerval nous donne une autre
information, les zendovères
sont des esprits féminins reliant le divin et les hommes, (Cf
Pléiade) anges féminins, dans la Fiancée de
Bénarès de Philarète Chasles!
Et Mahdeva devient ainsi une puissance androgyne, nom du dieu
masculin, zendovère féminin
ERYTRHEA
(note Pleïade) signifie en grec
"rouge", mer rouge, océan indien, et désigne aussi
une sybille de l'antiquité. Le poème apparaît de plus en plus
dédié à une figure féminine et au titre répond le tercet
final
cependant
la Prêtresse, au visage vermeil, sybille , prétresse, laquelle est associée à Amany (note de Nerval), cette Amany est
mentionnée par lui dans le Messager (1838) comme une danseuse
indienne qui lui évoque "le chant de la reine de saba,
balkis, attendant l'arrivée tardive de l'oiseau hud-Hue,
messager des amours" (note Pléïade). Cet éloge renvoie
évidemment au Voyage en Orient et au
long conte de la reine de Saba, le nom d'Amany apparait ainsi
chargé d'amour, de désir.
Enchanteresse bayadère dansant pour séduire Nerval et tout le parterre, nous revoilà au théâtre, au théâtre du désir
la danseuse est saluée par une colonne de
saphir! et un regard qui remonte du bas jusques en haut!
curieuse transformation du regard, puisque Gérard dans la version 2 proposait un regard de bas en haut que dans la
dernière version, il inverse en partant des pieds "et de son pied d'azur" avec une inversion recherchée des éléments
: en bas l'azur, en haut le granit!
le "Reparais! " fixe un
spectacle, une excitation du voir , (re)voir cette bayadère qui
par ailleurs
"se
dévoile à long plis"
, à partir du pied...
la réference au Rouge est obsédante, colonne de saphir et pourpre de Judée, fleurs pourpre, Erythréa, la prétresse au visage vermeil , le rouge est partout, encadrant la venue de cette figure féminine, signe du désir et de l'excitation d'un délire inexplicable où tout se brouille
dans ce mouvement du voir, apparaît,
reparait Bénarès (féminisée,accoudée), ce qui suit étant
encore plus étrange
car voici
le Vautour volant sur Patant
Pour ce vautourNerval annote TYPHON,
M.Steinmetz (Pléïade III) explique que ce vautour- Typhon est
une image mythologique égyptienne du principe du mal et de la
destruction, de même pour la mythologie grecque dans laquelle le
géant monstrueux est aussi épris de Vénus! Cette lecture
confirme l'histoire de désir et de menace.
Le plus troublant étant ce: Je
suis le Vautour du
poème 2. Visiblement Nerval a modifié cette identification trop
troublante et gommé sa participation trop directe, voici le
vautour qui n'est plus moi, ce n'est pas moi qui risque d'être
détruit? Croyez vous?
Qu'est ce que cet arc et ce corset d'or ? Gérard en guerrier indou chassant les dieux ou les filles, en corset! image d'un travestissement car on ne sait plus trop où est le masculin ni le féminin, l'image débouche sur cette rime incroyable en or bruni
Or Nerval n'est il pas Labruni ( son nom) qui rime et appelle Patani , Amany (la danseuse)
Il n'est pas désengagé, au contraire, il
reste complètement impliqué , identifié; la rime en i
se transmue, se cache, réapparait, toujours
présente, immédiatement suivie de l'image des papillons
Et de
papillons blancs la Mer est inondée.
Voilà qui ressemble fort à une
masturbation cosmique ou simple!
On serait ainsi au coeur d'une excitation transposée, paniquée,
ou Gérard dieu métamorphosé ou puni, tremblant et inondant
cette mer (qui rime toujours avec l'autre) au coeur de la douleur
nervalienne.
Mahdeva, le dieu efficient, arrêtant, restructurant l'aventure et la déperdition, lui, le père, fait flotter les voiles, équilibre, livrant les fleurs (filles) toujours pourpres, enfer, et jouissant également en neige et franchissant les espaces, des plus hautes montagnes de la Chine (thibet) jusqu'à l'Atlantique. Mais on a vu que Madheva est aussi Zendovere, féminin, fleur qui livre, esquisse, sa jouissance...?
je trouvais que j'exagérais un peu quand je découvris le commentaire du pantoum , par Nerval, (Pleïade III) et là je trouve que c'est lui qui exagère, car à propos de ce texte, il écrit en note: "le principal plaisir que l'on éprouve, c'est peut être d'y trouver le nom de BANDAN ou de PATANI, que l'on écoute avec délices comme de la musique". Bon, certes, assez d'érudition, en français, Bandan n'a qu'un seul sens, il est plutôt drôle que Nerval ne l'entende pas, ni non plus le commentateur!!!, le son est rude et n'a rien de délicieux.
Nerval entend bien plus qu'il ne le dit puisque dans ses versions, ce mot (si musical) disparaît, remplacé justement par Bénarès, et Patani par Patant, comme si on devait les recouvrir, les cacher, de bandan on retrouve le "bandeau" de la danseuse? Bénarès est annoté Ben Arès, fils guerrier, transgresseur, et en même temps "fille de mars"! ce qui montre qu'on est en pleine confusion masculin féminin; "or bruni, la-bruni, les rimes impliquent Nerval, traces des versions, le reliant à ses pulsions érotiques autant que destructrices.
Le poème s'achève sur cette image de la femme prêtresse cependant endormie, celle qui parlerait, révèlerait, n'est pas encore éveillée, quoique vermeille, c'est à dire reliée à l'excitation (enfer)?
"Et rien n'a dérangé le sévère Portique", vers très beau cette fois car étrange, menaçant, sérieux, inattendu, vers qu'on retrouve dans un autre contexte à la fin de Delfica (les Chimères)
sévérité de la faute, du danger, de l'accès au dieu, à la femme, à la jouissance?
Portique des dieux ou la folie veille, pourpre, l'entrevoir c'est se brûler
le poème constate l'excitation, il l' expérimente
et assure le retour au stable,
rien n'est dérangé,
Nerval est sauvé pour une fois encore
Au travers de ce Portique quelles révélations ou quelle mort?
Les poèmes ne sont pas codés pour le plaisir, Nerval en crise affronte les images dans toutes leurs forces irradiantes, menaçantes. Le poème est un espace ou se jouent des pulsions, associant désir et spiritualité, architecture chaotique et menacée. La maîtrise de l'écriture, quand elle est maintenue, assure autant une exploration qu'une protection.
Pour nous, lecteurs lointains du drame, le poème étonne ou charme, l' incompréhensible Nerval se glisse hors de notre portée, avec son immense culture et ses naivetés, son amour du théâtre, ses désirs ambigüs, retrouvant à sa manière des archaismes cosmiques.
Lecteur, excuse moi, le projet n'était que de mettre sur le net quelques poèmes de Nerval, ses poèmes ne peuvent être retranscrits sans réflexion, il est bien évident que les commentaires engagent leurs auteurs.
A.A.
Dérives 2000.
voir NERVAL sur dérives , Voyage en orient, liens