Soif de Follain
Revenant de chimotherapie je me suis retrouvé avec une soif de FOLLAIN, mon recueil usé et déchiré d'Exister n'y était plus, comment peut-on vivre sans EXISTER ?
alors vite en recherchant sur internet peut être en trouverai je qqs extraits?oui mais pas tellement, sur ESPRIT NOMADES et sur le blog de Gabrielle , merci à eux
mon but n'est pas d'analyser, mais de m'immerger un peu
si l'on veut réfléchir
sur les thèmes chers à Follain on peut se reporter au Le
monde de Jean Follain , colloque
de Cerisy, textes réunis et présentés par Arlette Albert Birot, éditions
Jean Michel Place.1998
Ce livre est une approche qui explore les thèmes de Follain et permet de mieux
discerner les lignes complexes et enchevêtrées d'une oeuvre discrète, ardente,
sage, terriblement humaine.
si l'on veut une approche dessinée et sympathique on consultera l'itinéraire de Monsieur.Longuet qui nous propose une exploration à Canisy, en dessins amusés et précieux, itinéraire Follain à ne pas manquer
Signes pour les voyageurs
Voyageurs des grands espaces
lorsque vous verrez une fille
tordant dans des mains de splendeur
une chevelure immense et noire
et que par surcroît
vous verrez
près d’une boulangerie sombre
un cheval couché dans la mort
à ces signes vous reconnaîtrez
Usage du temps, Transparence du monde, Gallimard, 1942-1943
Il nous accueille par Voyageurs et espaces. On comprend qu'il s'agit aussi des chemins du destin et de toute vie, mais cet apostrophe sur "des grands espaces" est important, il dit qu'on n'est pas fixé à un territoir, on est voyageur au loin en train de se perdre et de découvrir, mais dans cette extension, voici le terme le plus simple, la borne connue, "une fille" magnifiée par une terrible image "des mains de splendeur" "tordant une chevelure". Là est un des secrets du poétique chez Follain, une perception précise, tordre dans ses mains, cela se fait, cela se comprend,( implique une violence), mais que vient signifier "splendeur" avec cette rare construction syntaxique, "de splendeur", ce n'est pas un adjectif, les mains participent à la "splendeur", la splendeur c'est la beauté (platonicienne, l'idée de beauté du monde, du paysage, de la femme mais pas seulement), en plus cela résonne, repond au dur "tordant" pour s'écouler dans cette "chevelure", comme un fleuve, dotée également de la propriété d'espace, "immense". "et noire" est un ajout, un lien symbolique avec ce qui va suivre, "Vous verrez" est une reprise, une reflexionj, il y a intervention du narrateur, marqué par le terme "par surcroit" ajout et marque d'un discours (on quitte le pur poétique) pour y retomber pleinement car si apparemment on doit s'attendre à une réponse discursive, la réponse est une image totalement inattendue, "un cheval couché dans la mort" "près d'une boulangerie", qu'un seul adjectif transforme en inquiétude "sombre" qui répond à "noire"
La morale du poème( et ce poème fonctionne comme un sonnet) est que le poème envoie des signes d'humanité au "voyageur" (humain) qui les aurait oubliés peut-être
Entrechoquant à son gré images et adjectifs, Follain ouvre des trouées de sens infinies et troublantes, ici deux bornes se dessinent: une image du féminin porteuse de beauté et de force, une angoisse de mort palpable dans le corps de ce cheval "couché"
Mais le poème toujours échappe au discursif, il sème ses images et va de l'une à l'autre, au travers du ruissellement des sonorités et des sens, construisant un corps, un espace, une singularité.
suite
Monsieur Follain, d'avocat est devenu juge, Il y a du juge dans ses poèmes où semblable à un dieu ancien d'Egypte, il soupèse
"Il naît un enfant
dans un grand paysage
un demi siècle après
il n'est qu'un soldat mort
et c'était là cet homme ...
Vie/Exister
On remarquera à quel point le thème de la guerre est omniprésent chez Follain, même s'il n'a pas été un grand résistant, il a subi
Il parcourt un village univers , il en nomme les boutiques et les matériaux, leur donnant valeur intemporelle comme dans ce merveilleux poème
Merceries ((Exister)
"Ô néant des percales à chimères...
des tresses des galons
qui sur la robe de la morte
serviront
de chemins tortueux aux fourmis
aveugles à la beauté charnelle
sous le soleil de midi."
cette science des étoffes est mise en relation avec d'autres images créatrices d'un univers poétique pathétique, là encore est affirmée la valeur sacrée de la beauté charnelle, désir et présence de l'homme Follain, si discret et lointain, si recueilli
de même dans Grainetier (Exister), les graines les plus communes deviennent destin , couleurs, environnant un homme menacé
"le jour n'est pas fini
et l'homme dort
sous un ciel sans terreur"
ce qui l'attend c'est un travail, il lui faudra porter les sacs de toutes ces graines qui deviennent couleur:
"le sarrasin couleur gris de souris
le son rosâtre"
et en fin " le dernier sac bossué
d'avoine blême"
qualité du choix des mots, des adjectifs, des liens qui relient les images , les sensations si vives, et mortelles.
On dit de Follain qu'il n'est pas surréaliste, on insiste beaucoup sur la force des images prises dans le réel et qui ont l'air de simplement décrire, je trouve que ces réseaux d'images proposées par Follain, ce réel entrelacé de tels embrasements, s'inscrivent dans le rayonnement que le surréalisme a apporté, nouvelle logique, nouveaux sauts d'un monde palpable et infiniment mystérieux.