RELIRE SINGER

Pourquoi Isaac Bashevis Singer est-il un si grand romancier?

Relire Bashevis Singer est une nécessité par les temps qui courent, son miracle est d'écrire à l'intérieur d'un destin communautaire et pourtant de s'adresser à tous , comme on aimerait qu'il y ait plus d'écrivains comme lui , qui tout en témoignant des valeurs d'une communauté,  ait  le sens de l'universel.

J'ai retrouvé cette forte impression en écoutant une émission qui lui était consacrée, sur france culture par Alain Finkielkraut

Les critiques  sont tous frappés par cette attitude de Singer et confirment mes analyses. Il faut ajouter aussi que Singer a de singuliers rapports à ses personnages et à l'amour, la plupart sont en relation avec trois amours, hommes et femmes se débattent avec des choix douloureux entre plusieurs partenaires d'où émerge presque difficilement un(e) élu(e). Ces mêmes personnages sont presque toujours abominables dans leur  faiblesse et leur lâcheté, et en même temps admirables. En fait ils sont comme nous tous, grands et misérables.

Il faut lire Singer car il  a passé sa vie à justement  faire vivre une Pologne juive des années 1900 à 1935, puis américaine jusque dans les années 1960.  Ce peuple qu 'il nous restitue si vivant est celui qui a été anéanti. La langue yiddish qu'il pratique est celle de cette communauté juive qui a presque disparu, comme dit Singer je parle aux fantômes, et les fantômes aiment les langues presque mortes.

Lire les sagas: Le manoir et Le Domaine  / La famille Moskat/  lire les nouvelles américaines, là où le fantastique croise les rues américaines , aussi bien que les contes de  l'ancienne Pologne. Singer est un réel auteur du fantastique, il rencontre vraiment les fantômes, il est un immense créateur d'hommes et de femmes si vivants si contradictoires, si pieux et si transgressifs.

Il  ne mangeait pas de viande. Il est un des premiers avec ses amis à avoir écrit que les abattoirs pour animaux avaient donné l'idée des camps pour  humains.

 

Ombres sur l'Hudson

Ombres sur l'Hudson refait de moi un lecteur de Singer, envoûté par cette puissance d'invention romanesque

Le trouble et l'émotion viennent de ce que chez Singer les personnages vivent, ils sont nous et eux, ils sont palpables, si différents et pourtant si modernes dans leurs pulsions, leurs dérives et leurs quêtes

C'est que Singer nous cueille avec une telle intelligence de l'humain !

Il nous inscrit sans aucune complaisance dans le pire moment de cette période décisive de notre modernité, 45/ 48, là où ils reviennent, les rescapés d'un monde en cendre, blessures béantes, là où il faut consoler les morts autant que les vivants

Là où il faut dire et maudire.

Et Singer accomplit l'impossible, en langue yiddish, sans aucun larmoiement, il pose et construit ses interrogations politiques et philosophiques, incontournables, imparables, Qui est ce dieu? Comment vivre, croire, être bon? Quel est ce mal?

Et dans le même moment ses personnages aiment, désirent, se trompent, se fustigent, avec toutes la palette des amours, des divorces, des élans, des interrogations,

Singer est le romancier qui y croit, vous y fait croire, à tous ces méandres, chaque moment est vrai, même si justement, il vous fait comprendre que là encore, ce n'était qu'une illusion,

jamais ses personnages ne sont monstrueux,

Comment Singer réussit-il à nous les transmettre aussi vivants, si proches?

constamment Singer relance doucement des scènes incroyables, l'actrice qui joue le fantôme de la femme disparue dans les camps lors d'une séance de spiritisme à l'américaine, le médecin si respectable si généreux qui ne trouve rien d'autre qu'à reprendre son ancienne femme allemande mariée à un nazi pendant la guerre.

Tous ces personnages s'inscrivent dans une identité juive qu'ils interrogent et que Singer nous rend si étrangement familière, cette identité se révèle par des actes de vie, des élans qui sont aussi ceux des non juifs.

Paradoxalement Singer réussit à parler pour tous dans le cadre d'une identité singulière, comment ne pas penser à Hannah Arendt?

En intégrant ces rescapés au monde si moderne et présent de ce New York post guerre, Singer sauve ce peuple anéanti, il le relance dans une vie qui continue; à vif, il réexplore notre vie à tous, après la guerre et les massacres, quelle énergie, quelle foi !

Singer le blasphémateur, Singer le consolateur,

Heureusement qu'il est gentil car il peut être d'une méchanceté horrible, ces personnages peuvent soudain devenir des caricatures hallucinantes d'américains et de juifs lâches et ignobles,

puis en grand romancier Singer prend cette caricature, la relance, l'excuse, l'aime, lui pardonne, comme il pardonne à dieu ?

a.a

 

interview de Singer sur l'écriture dans Sarmatian review

 

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