Michel Baudinat nous a quittés


acteur de l'extrême, extrême discrétion autant qu'efficace, 

extrême sérieux  autant que force, 

extrême exigence d'un théâtre rare

article Le Monde,)

Michel Baudinat

Article publié le 25 Juillet 2008
Par Brigitte Salino
Source : LE MONDE
Extrait :

Comédien, il joua dans de nombreuses pièces de Novarina. Le temps est dangereux », disait-il dans Vous qui habitez le temps, de Valère Novarina. Jeudi 10 juillet, Michel Baudinat est mort, à Roanne (Loire), des suites d'un cancer. Il avait 68 ans. 

On ne verra plus son visage un peu lunaire, qui savait si bien convoquer les étrangetés de la vie. On n'oubliera pas son allure terrienne, qui semblait plantée dans le quotidien. 

On ne restera plus bouche bée devant sa façon de donner corps au langage, qui rendait populaires tous les mots en scène. A en croire sa biographie, Michel Baudinat n'a fait que jouer, en commençant par naître le 24 décembre 1939 à Ollioules (Var).

 

 

 

 

L'acteur fuyant autrui

Michel Baudinat opère dans le texte de Valère Novarina comme un personnage errant. Fuguant dans les couloirs d'une œuvre qu'il porte dans son corps d'acteur depuis longtemps, il tisse des réseaux entre des monologues, créant ainsi un étrange dialogue, sorte de polyphonie individuelle.

A propos de cet acteur fétiche et de cette magistrale logorrhée, Valère Novarina parle de Variation Baudinat, comme on parle des Variations Goldberg à propos des fugues de Bach. Il faut dire que la qualité du jeu et la force du texte justifient pleinement la comparaison.

Baudinat a le pouvoir d'enrichir la vacuité de l'espace de sa seule présence, peuplant de sa voix les murs usés de la petite salle du théâtre de Châtillon. Véritable Passion à laquelle il nous est donné d'assister, les mots voraces de Novarina dépècent l'acteur, animé par la souffrance, épuisé, en sueur. Il faut dire que Baudinat est un fidèle parmi les fidèles : voilà plus de quinze ans qu'il fréquente ce Verbe animé, créateur et dévorateur de la bouche même de qui le prononce. Corps tendu entre Le Babil des classes dangereuses, Le Drame de la vie, Vous qui habitez le temps, Je suis, Le Repas, L'Espace furieux et La Chair de l'homme, Baudinat rayonne d'une sorte de volubilité méditative.

Une nouvelle fois, il s'agit de formuler l'impossible coïncidence âme-corps, verbe-chair. Et c'est dans la formulation elle-même, dans la prolixité que Novarina résout cette contradiction ontologique : la parole se fait chair. La pensée de la mort c'est le cadavre de soi se portant lui-même, l'esprit c'est le trou par lequel on pense, la parole, c'est la vie et la mort qui s'écoulent de nous, bref, l'existence, c'est "ce dont on ne peut parler, c'est cela qu'il faut dire".

Michel Baudinat est ce danseur désespéré tentant de saisir sa propre consistance. Acteur fuyant autrui, il incarne magistralement cet homme impuissant à s'échapper à lui-même.

 

virginie lachaise

 

L'acteur fuyant autrui
Montage de textes de Valère Novarina
Par Michel Baudinat
Du 3 au 18 mars 2000
Théâtre à Châtillon