LEV Dodine

novembre MC 93 Bobigny

 formidable série de représentations d'un travail théâtral

moi aussi je découvre, partant du remarquable Vie et destin, j'explore, il faudrait tout voir, alors on y découvrirait le charme d'une troupe autant que d'un répertoire, comme dit  Dodine

une troupe c'est le bonheur de retrouver les mêmes acteurs, jouant dans des mises en scène différentes des personnages différents, et peu à peu en apprécier les nuances, les possibilités,

quand on a vu Sergueï Kourychev  dans  Platonov  comment ne pas le revoir encore et encore dans ses autres prestations  mais c'est vrai pour tous les autres

Dodine dans sa rencontre avec le public n'a pas livré de formules fracassantes, mais quelques raisons de ses choix, entre autre ne pas reprendre un spectacle dont les acteurs principaux auraient disparu, ainsi a t-t-il retiré la Cerisaie de son répertoire

Il s'inscrit ainsi dans une non reproduction guère à la mode dans un monde au contraire de copie, où tout devient interchangeable. L'invention théâtrale est intimement liée à la personne vivante de l'acteur, à son âme, s'il disparaît, il n'y a pas de remplacement possible, on ne triche pas avec l'âme !

par contre cela lui parait très bien si les mêmes continuent de jouer un spectacle créé depuis 20 ans, s'ils vieillissent, le spectacle change avec eux, tant pis si les jeunes sont moins jeunes, mais ce sont eux,  voilà Dodine,

cette  simple remarque  donne un autre regard sur son travail, ce travail avec eux,  avec cette troupe, ce travail de répertoire

qui s'appuie d'abord sur une formation soutenue complète renouvelée, voix danse musique,

à partir des grandes oeuvres, Dodine et des collaborateurs  recherchent un condensé, ils  accueillent et canalisent  les inventions des comédiens

un dispositif simple mais efficace permet la condensation,  la schématisation et  l'impact scénique

dans les Démons le dispositif semblait respirer avec les comédiens, tellement il les accompagnait, les guidait,  permettait une lisibilité et des éclairages épurés.

dans Platonov le dispositif est audacieux, l'utilisation d'un espace liquide, dans lequel on peut plonger, disparaître, mourir naître, les espaces se répondent, et permettent une polyphonie, très physique,  spectaculaires autant qu'ironique

Le Platonov de Tchekov montre toute la formation musicale des comédiens, la musique et les instruments sont intégrés au jeu,  acteurs tous musiciens

il y a aussi la démonstration d'un formidable travail de groupe, cérémonie des bougies, multiples jeux scéniques,  tous les déplacements se croisent dans une étonnante lisibilité

le répertoire c'est remettre à chaque fois l'oeuvre à l'épreuve des répétitions et de nouvelles mises au point, ce qui fait que le spectacle joué vous arrive neuf, renouvelé, prêt à vibrer,

le contenu quant à lui est on ne peut plus critique idéologiquement, Platonov, Grossman, rue Lénine, merci Dodine

 

revu donc ce fameux Vie et destin, revoir, c'est être moins dans la précipitation de la découverte, c'est mieux voir la machine à jouer, se répéter, le spectacle fonctionner,

et puis dans cette orchestration des mouvements, la qualité des voix, la qualité des actions, font que peu à peu l'émotion s'installe, ici d'une manière  pour moi brechtienne, l'émotion est juxtaposée à de la réflexion

le découpage est on ne peut plus clair et didactique, 

peu à peu  le travail scénique sculpte un hommage aux souffrances d'un peuple, à toutes ces vies et ces consciences broyées par deux systèmes qui se rejoignent

l'individu et le groupe sont constamment unis, le lit des amants est  entouré par les hommes du camp,

le filet  ne demande qu'à devenir grille, se voile de neige

des éclairages mesurés  nuancent permettent des obscurités des disparitions,

il faut oser jouer avec les costumes des camps,

avec Dodine c'est possible, parce qu'il n'y a pas d'exhibitionnisme

 en fait malgré quelques rires (comme le public toujours aime rire dans les tragédies),

le ton tragique est posé dès le début par le monologue de la mère, le quotidien est esquissé par les journaux retirés,  des meubles apparaissent, un salon, un téléphone

et puis le premier prisonnier se glisse  dans le champ, timidement puis peu à peu, d' autres encore, vivant, se débattant

jusqu'à la fin

qui évoque si amèrement la musique des camps

 

Oncle Vania

classique des classiques et pourtant je trouve l'écriture et la conception de Tchékov baroques,

 un ensemble impossible, des personnages "réels" dans un environnement réaliste, vivant des situations impossibles, se livrant à des actes extrêmes, échevelés, méditant sur la vie à la fois sages et si pessimistes. comment s'en sortir? l'humour de Tchékov est sans doute dans son jeu avec un théâtre qu'il faut jouer et ne pas jouer. Le réalisme de Stanislavski la dessus m'est de plus en plus une énigme. Vania ce sont des caricatures, il faudrait tout caricaturer, jouer de l'extrême jusqu'à cette fable de la sexualité si évidente puisque toute l'action passe par la présence de cette Eléna objet de toutes les convoitises, et cependant sérieuse?

Dodine ne choisit pas la caricature, tous les personnages ont juste ce qu'il faut de la silhouette dessinée par le texte

il réussit à humaniser au contraire et à rendre intelligible la présence d'Eléna , mimiques  si vivantes  de la comédienne lors de la déclaration  du médecin.

la recherche consiste à rendre possible les actions impossibles, il réussit à adoucir les coups de feu de Vania et à ne pas bloquer la scène

les voix se répondent et il y a visiblement une direction pour amortir les voix et les effets, ainsi tous les acteurs sont-ils égaux, personne ne fait son show, contrairement à une critique parue dans rue 89, de Jean-Pierre Thibaudat  « Oncle Vania » de Tchékhov malheureusement entachée comme d'autres spectacles de la rétrospective par un acteur forçant la voix et le trait, en dissonance avec ses partenaires " On ne voit vraiment pas les mêmes spectacles!

Dodine se contente juste de pousser un peu le texte, le vieux mari revient surprenant l'étreinte d'Eléna et du docteur, ce n'est pas écrit, c'est presque écrit, la mise en scène continue  la scène, sans s'appesantir, renvoyant à la réflexion du spectateur, la scène est jouée, montrée, mais le mari continue avec le texte de Tchékov comme s'il ne l'avait pas vue, rendant ainsi plus efficaces  ses paroles

Vania Sergueï Kourichev        Eléna Xénia Rappoport      Astrov  Piort Semak      Sonia Elena Kalinina

 

 bonheur du théâtre  à chaque scène jouée, où justement on prend le temps de jouer

de réfléchir d'être ensemble

esthétique de Dodine, des lumières pures, des résolutions scéniques claires, alliant réalisme et schématisation,

esthétique d'un troupe, ayant une si juste formation