La Mastication des morts (1999)
Patrick Kermann

Un concert de vies, de maux, même chez les morts…

        Faim de mots, soif de musique, cette « polyphonie de l’au-delà » vous transportera au cœur de l’empire des morts.    
        Un piano qui dicte la mélodie, un violon électrifié qui vous emporte et une guitare électrique qui pleure d’émotions, s’unissent avec quatre comédiens, deux hommes et deux femmes, dans une mise en scène d’Eva Vallejo (metteuse en scène et comédienne) et une musique de Bruno Soulier (compositeur et pianiste).Reprenant 60 des 175 textes de la Mastication des morts(1999) dernière pièce de Patrick Kermann, suicidé en 2000, cette équipe redonne la parole aux morts du cimetière d’un village français imaginaire : Moret-sur-Raguse.
        
        Ce qui est flagrant chez ces morts c’est leur sincérité : la mort les a délivré de toute nos conventions futiles ; ils osent enfin parler et être eux-mêmes, ils osent vivre.

                                  la mastication des morts theatre du rond point

        Certains se laissent aller à la réflexion  « je ne suis pas morte je repose nuance ». D’autres racontent leur mort : ils l’acceptent d’emblée ou ont plus de réticences « faut que je me réveille, faut que je me réveille »tous ces décalages créent le comique.
Les inégalités sociales deviennent ridicules devant la mort, le souci de mémoire « c’est l’image qu’il garderont de moi » apparaît donc comme vanité pure. Des faits historiques se mêlent à la vie de ces personnages et beaucoup de textes sont liés ; s’instaure une sorte de dialogue qui donne vie à ce cimetière « oh, pourriez pas vous taire un peu, y en a qui dorment. »Tous ces morts ont des destins bouclés : il sont déjà morts. Ce qui procure un sentiment de réconciliation très agréable, loin du morbide.
           Riche d’inventions, ce spectacle nous étonne continuellement !
           
   
          La scène, tracée par des tubes lumineux de couleur bleue qui plongent la salle dans une obscurité marine, est presque vide : il n’y a qu’un banc noir au fond, un micro et les instruments qui l’occupent .Le sol est dallé par des rectangles blancs.
A l’avant scène, les comédiens sont éclairés par une lumière jaune provenant du bas tandis qu’au fond, un projecteur blanc les éclaire du dessus.
Un micro amplifie tour à tour la voix des acteurs créant un effet d’écho comme si les voix venaient d’outre tombe !
Le nom des morts, ainsi que leur date de naissance et de décès, s’affichent peu à peu sur le mur tel un cimetière de mots qui prend vie.
Il faut savoir qu’à la fin, quatre espaces vides nous trompent et peuvent nous frustrer ; d’autant plus qu’Eva Vallejo choisit de finir sur un ton glauque dont on espère le changement.

         La mastication des mots, tantôt seule, tantôt en chœur, est haletée, criée, chuchotée, chantée et prend parfois la forme de prière. L’oratorio in progress que souhaitait Kermann est atteint. Les acteurs dont le corps désarticulé est beaucoup mobilisé, font danser leurs mots sur une musique endiablée. Musique qui parfois, à force de mastiquer, avale le texte qu’on ne comprend plus. Musique au rythme soutenu qui ne s’arrête plus, musique inquiétante, musique angoissante ! mais qui peut laisser place au silence, à une voix enfantine qui crève le cœur. Rythme effréné ! on s’essouffle, on souffle, on se laisse entraîner par le rythme des mots qui tremblent ! les réplique se lancent, se croisent et se rattrapent… Un thème revient : une petite mélodie toujours la même, triste et monotone, qui détache et emporte chaque syllabe. Lorsque soudain, surgissant du chœur, un homme une femme un enfant un anonyme un chien s’élance et nous livre sa vie, sa mort, ses désirs, ses peines et ses joies!…

salle Jean Tardieu au Théâtre du Rond-Point
du 20 septembre au 28 octobre 2007
durée de 1h30 environ ( plutôt 1h15)  

« la mort ouais bon je sais pas »
« c’est un luxe de nos jours »
-avis aux gourmands-

  octobre 2007
article rédigé pour L'impression, journal du Lycée Claude Monet Paris 13ème          
par Stéphane.

la photo est extraite du site du théâtre du Rond-Point