Gare de l'est

 

Le deux septembre mil neuf cent trente neuf,

je descendis de Montmartre pour aller à la gare de l'Est.

Paris était couché sur sa plage comme à l'ordinaire.

Rêveuses, des femmes encaustiquaient dans les entresols.

 

Je tenais une valise qui ne fermait pas.

Et parce que mon train reculait d'heure en heure

dans un bousculement intimidé,

je cherchais une clé à travers la ville,

parce que l'on ne doit rien perdre dans la guerre.

 

Le quincailler avait fermé les volets

à cause du fils,

et les marchands de couleurs étaient déteints,

Paris conservait son sourire de septembre tricolore,

le boulevard de Sébastopol me rergardait avec douceur.

 

Et voici qu'étant retourné dans la cour de la gare,

j' aperçois mon ami Singevin avec Mila.

Alors comme c'était un miracle,

 

nous avons bu des beaujolais

en disant que c'était la dernière journée.

Puis, le goût du sang me travaillait sans doute,

j' embrassai mes amis, pris la valise.

 

J' ai passé les portes.

 

 

10 mars 1941

 

André Frénaud

in les Rois Mages. Poésie/ Gallimard.

 


 

Frénaud a beaucoup varié et interrogé les formes du poétique, ce poème est construit avec beaucoup de prose, ça ne chante guère, ce poème est ainsi très surprenant, d'autant qu'il recèle une situation et une émotion d'une grande violence, son avance sa conclusion sont révélation, franchissement d'un seuil collectif et individuel, pour la guerre, la mort; les mots sont discrets, nonchalants, retenus, familiers, ce poème plus qu'un autre interroge le poème, y compris à mes yeux cette hésitation importante et pas du tout négligeable entre minuscule et majuscule.

La gare de l'Est et le boulevard de Sébastopol sont des lieux magnétiques, Frénaud ne s' y trompe pas.


 

Frénaud a écrit sur l'expérience poétique, dans La Sainte Face (Gallimard): "note à propos d'un livre de poèmes" et dans "Il n'y a pas de paradis, (poésie, Gallimard)

" Passage de la visitation .... le passage de la visitation a commencé par le (le poète) vider de lui-même et de tout ce qu'il sait... Instant imperceptible. Le poème s'accomplit à son réveil." "

"Si Je est devenu un autre, le poète n'a la chance de l'incarner qu'à partir du moment où il commence à redevenir lui-même; la possibilité d'exprimer ce qui le dépasse lui est donnée alors qu'il renaît comme obstacle. C'est le paradoxe et la contradiction fondamentale de l'action poétique"


A.Frénaud de Peter Schneider, l'Harmattan. Paris 1997. un livre qui présente l'oeuvre de Frénaud, pas de critiques exceptionnelles mais une bibliographie très complète des oeuvres et de ses critiques.


HAERES. 1982. Gallimard.

 

L'Eve d'Autun

 

Long corps pensif espacé par les feuilles,

sinueux, retenu.

Paupière grave et le sein glorieux,

La jouissance qui ne s'apaise

confondu dans l'appel,

dans le regard sans joie

à jamais fasciné.

Etre prise ou conquérir, même demande.

Et le Serpent n'est pas un autre que l'Arbre

qui se déploie, qui est là.

 


 

Du haut du campanile vers le large orageux
le ciel est vert sous la mer qui se dresse,
et noircit le nuage, de la blondeur du blé.

Tintoretto

ex voto en Italie 1971-1979.

 


L'homme

 

L'homme

exposé

retourne

à l'origine

à la mère

est jeté

en défi

au Destin

hors des lieux

par instants

adoptifs.

 

le parcours de la lumière en question. 1974-1981


 

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