GUILLEVIC
sonnets pour trois amis
pour André FRENAUD
Que te donner, André, que tu n'écarterais?
Nous avons tant creusé dans les mêmes misères,
Nous avons tant creusé des chemins adversaires,
Pour à la fin toujours nous regarder en vrai.Il y a bien longtemps que l'amitié s'ouvrait,
Il y a trop longtemps que nous sommes en guerre,
Il y a bien longtemps qu'il nous est nécessaire
D'avoir à partager ensemble des secrets.Pourquoi donc fallait-il que toujours tu refuses?
Pourquoi donc fallait-il que l'un ou l'autre accuse?
Nous étions faits pourtant pour aller en commun.Il est plus fort que moi ce néant qui te guide.
je ne trouve à t'offrir aujourd'hui que ma main
Et ce litre de vin que nous laisserons vide.29.12.1937 E.Guillevic
pour Jean FOLLAIN
Nous avons en commun de la terre et du temps,
Des sentiers et des prés debout près des villages,
Des caves, des greniers creusés dans d'autres âges,
Des insectes rêvant l'attaque en attendant.Nous avons en commun la teneur du dedans
Des chambres, des coins d'ombres et des objets d'usage,
Une espèce de puits où sont les paysages
Et le besoin de retenir tous les partants.Presqu'un même soleil, pas la même lumière,
Je te vois là, pleurant sur la mort coutumière,
Plus d'étrange dans ton pays que dans le mien.Follain, mon vieil ami, même un peu mon complice,
En ce jour accompli, je te donne mon bien,
Le vol d'une alouette et son chant de délices.E.Guillevic. 20.07.1958
pour Jean TARDIEU
J'ai pour toi sur ma table un objet rond et lourd,
Un assez gros caillou pour qu'on le nomme pierre,
Ramassé l'an dernier près d'une sablière,
Couleur de longue pluie ainsi qu'était ce jour.Je veux savoir de lui si je suis son recours,
Mais il répond toujours de façon outrancière,
Comme s'il refusait le temps et la lumière,
Comme un qui voit le centre et boude l'alentour,Qui n'aurait pas besoin de se trouver soi-même
Et de chercher plus loin qu'on l'accepte ou qu'on l'aime,
Qui n'aurait le besoin, plutôt, de rien chercher.Nous toujours à l'affût, toujours sur le qui-vive,
Nous qui rêvons de vivre une heure de rocher,
Cherchons dans le caillou la paix des perspectives.
E.Guillevic. 28.12.1958
Ces Sonnets aux trois amis ont été publiés en 1999
aux éditions Robert Dutrou,
Graphies de Jean Cortot.Copyright. Dérives/ Lucie.A.Guillevic.