ELISEO DIEGO
L'obscure splendeur
traduction de l'espagnol (Cuba) par Jean Marc Pelorson
Orphée La Différence 1996
1920-1994
Avez vous lu Eliseo Diego ? ici personne ne semble connaître !
alors il est peut-être utile de lui dédier une page
car la poésie d'ELISEO est vraie et forte,
discrétion, souffrance, sérieux, images, rythmes
fluidité qui accompagne une écriture rayonnante et musicale
spendeur et douleur
trace de la main d'un homme poète
JM Pelorson, son traducteur aux éditions la différence, Orphée, en parle avec émotion, reconnaissance, il dit qu'une tension sous tend les poèmes d'Eliséo, entre la fuite et la perdition du temps (nostalgie, angoisse, effondrement, regret, élégie) et l'affirmation de la forme poétique (victoire, éblouissement, beauté)
Il dit aussi que dans le début de ses poèmes Eliséo frappe souvent un accord remarquable puis les harmoniques retombent doucement, se transmuent, etc
La présence de Cuba parfois très forte, reste souvent discrète, on ressent la présence d'une autre lumière, d'un autre continent, mais grâce aux nuances culturelles riches et multiples, la poésie d'Eliséo vient vers nous, large, ouverte, elle n'est nullement régionaliste ou restreinte
on ressent le chemin d'une réelle liberté intérieure
art poétique évident.
quelques liens sur Eliséo Diego :
Eliseo Alberto: fils du poète
et journaliste,,rRapport contre moi-même,
où comment le régime du cher Fidel demanda au fils d'espionner
son père.
roman: Caracol beach.
Eliseo Diego: poèmes et biographie.(espagnol)
Collection ORPHÉE, editions la différence
LA FILLETTE DANS LE BOIS
Caperuza del alma, està en lo oscuro
el lobo
Les jours de ta vie .1977
Chaperon de mon âme, il se tient
dans le bois
le loup, là ou jamais
tu ne t'en douterais
et il te regarde
depuis sa roche de misère,
sa solitude, sa faim énorme.
Toi, tu lui demandes : pourquoi tu
as
ces yeux ronds?
Et lui répond
aveugle, c'est pour mieux
te voir, en pleurant
Et aussitôt
tu reviens à la charge : pourquoi
donc ces grandes oreilles ?
Et lui,
pour t'écouter, ö musique
de l'univers, oui seulement
pour t'écouter
Et là-dessus
le reste est l'ombre _ indéchiffrable
lo demâs es la sombra _ indescifrable.
VUE D'UNE FERME AU CREPUSCULE
Por qué pintaron los grandes holandeses los paisajes?
Les jours de ta vie.1977
Pourquoi ont-ils peint, les grands
Hollandaisces paysages
où l'on voit voit une femme découper ses contours
sur une brume d'or
et, de dos, une jeune fille jeter heureuse de quoi
manger aux poules
tandis que le soleil, plutôt qu'à l'horizon
s'enfonce en la mémoire.
Elle ne tournera jamais, la jeune fille, son visage
vers nous,
jamais n'en finiront les poules de quêter
confiantes, obstinées,
redressant leur cou blanc là-bas, à tout jamais.
Nul jamais n'ouvrira la porte du logis,
le vent n'arrachera jamais de feuilles au chêne.
Lundi et vendredi, cependant, vont et viennent
en trombes endiablées :
qui contempla hier la fête immobile
de cette jeune fille
n'est pas le même que celui qui aujourd'hui tresse
en lettres sa nostalgie,
non, ce n'est pas le même.
Mais pour elle qu'importe.
La ligne de son dos
ne s'émeut même pas
de ce léger frisson des épaules par quoi
le rêveur effarouche les yeux qui le dérangent.
Nous pouvons bien mourir, cela ne l'atteint pas :
tournée vers soi, ailleurs, elle répand les grains
comme des astres
et goûte sur ses lèvres, plus belles que rêvées,
invisible délice,
la saveur de l'instant, comme une boisson d'or.
invisible delicia,
el sabor del instante como un vino de oro.
ODE A LA JEUNE LUMIERE
Les jours de ta vie (1977)
En mi pais la luz
En mon pays la lumière
est beaucoup plus que le temps, elle s'attarde
avec une étrange délectation sur les contours
militaires de toute chose, sur les vestiges
épurés du déluge
La lumière
dans mon pays résiste à la mémoire
comme l'or à la sueur de la cupidité,
elle se perpétue en elle-même, nous ignore
depuis la différence de son être, sa transparence.
Quiconque courtise la lumière avec rubans et tambours
en s'inclinant de-ci de-là selon la ruse
d'une sensualité archaïque, immémoriale,
perd son temps, jette ses arguties aux flots
tandis que la lumière, tout à elle-même, dort.
Car dans mon pays la lumière ne
regarde pas
les modestes victoires du sens,
ni les désastres raffinés du sort,
elle s'amuse de feuilles, de petits oiseaux,
de coquillages, de reflets, de verts profonds.
Aveugle, la lumière, dans mon
pays,
illumine son propre coeur inviolable
sans se soucier de gains ni de pertes.
Pure comme le sel, intacte, fièrement dressée,
la chaste, démente lumière effeuille le temps.
la casta, demente luz deshoja el tiempo.