Les Onze Mille Verges
ou les amours d'un hospodar.
Bon et si on prenait ce texte au sérieux.
Il reste toujours voué aux enfers.
Dans l'enseignement, on n'en parle guère, oui, certes, il y aurait un texte à ne pas mettre entre toutes les mains,
Livre érotique français, c'est combien?
Sur le net, pas d'édition complète par Gallica, ni par le site officiel Apollinaire !
on en trouve des extraits sur de petits sites qui l'intègrent à une réflexion ou sur des sites de charmes avec liens à d'autres sites pornos toutes catégories.
C'est poutant un acte d'écriture d'une modernité incroyable, encore plus à l'époque où tout de même on ne se répandait pas comme maintenant.
Apollinaire explore, remonte toutes les pulsions, les pratiques extrêmes, uro scato bdsm, comme on dit sur le net, mais le net a l'air pâle,
Il romance, cisèle, galope, pour la légèreté et la rapidité on pense à Calvino ? Il y a toutes les ambiances: joyeuses, poétiques, humoristiques, crades, héroïques.
Et si ce poète réglait un peu ses comptes avec le romanesque, sur ce quil fallait en attendre, ce roman qui cotoie la mécanique des désirs, et qui ne dit jamais, quand il dit ou dévoile, alors est-on encore dans le romanesque? c'est toute la question.
On pourrait dire encore qu'Apollinaire reprend à son compte l'esthétique réaliste, ses personnages sont situés, il y a beaucoup de détails de la vie quotidienne et des objets, en même temps humour et excès détruisent ce réalisme.
Curieux défi , Apollinaire défie le poétique, il se moque de la poésie, de la sienne comme celle des autres et en même temps il y réfère constamment, par des jeux de mots, par des poèmes tronqués, par des références à sa poétique, certains passages annoncent des poèmes à venir, poèmes de guerre à venir.
Paradoxalement cet opuscule érotique, pas très sérieux, rejoint cet horizon du poète prophète qu'Apollinaire revendique (et à mon avis , il faut le prendre au sérieux)
Ecrit juste avant la grande guerre,
la modernité va se déchaîner dans un instant,
corps torturés, éventrés, détruits par milliers millions,
la respectabilité se brise.
Passent les pulsions
"tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse"
anton alain
Les Onze
Mille Verges ou les Amours d'un Hospodar
Roman (1907) de Guillaume Apollinaire
edtion complète , Livre électronique de Project Gutenberg Canada
à propos du Chapitre 6
Le Prince Mony Vibescu,
hospodar roumain, est avec son valet de chambre français
Cornaboeux en voyage en Sibérie pendant la guerre
russo-japonaise. Ils arrivent dans Port-Arthur assiégée et vont
ensemble au bordel.
- Où sont les Japonaises? demanda-t-il.
- Cest cinquante roubles de plus, déclara la
sous-maîtresse en retroussant ses fortes moustaches, vous
comprenez, cest lennemi!
Mony paya et on fit entrer une vingtaine de mousmés dans leur
costume national.
Le prince en choisit une qui était charmante et la
sous-maîtresse fit entrer les deux couples dans un retiro
aménagé dans un but foutatif.
La négresse qui sappelait Cornélie et la mousmé qui
répondait au nom délicat de Kilyému, cest-à-dire :
bouton de fleur du néflier du Japon, se déshabillèrent en
chantant lune en sabir tripolitain, lautre en
bitchlamar.
Mony et Cornabux se déshabillèrent.
Le prince laissa, dans un coin, son valet de chambre et la
négresse, et ne soccupa plus que de Kilyému dont la
beauté enfantine et grave à la fois lenchantait.
Il lembrassa tendrement et, de temps à autre, pendant
cette belle nuit damour, on entendait le bruit du
bombardement. Des
obus éclataient avec douceur. On eût dit quun prince
oriental offrait un feu dartifice en lhonneur de
quelque princesse géorgienne et vierge.
Kilyému était petite mais très bien faite, son corps était
jaune comme une pêche, ses seins petits et pointus étaient durs
comme des balles de tennis. Les poils de son con étaient réunis
en une petite touffe rêche et noire, on eût dit dun
pinceau mouillé.
Elle se mit sur le dos et ramenant ses cuisses sur son ventre,
les genoux pliés, elle ouvrit ses jambes comme un livre.
Cette posture impossible à une Européenne étonna Mony.
Il en goûta bientôt les charmes. Son vit senfonça tout
entier jusquaux couilles dans un con élastique qui, large
dabord, se resserra bientôt dune façon étonnante.
Et cette petite fille qui semblait à peine nubile avait le
casse-noisette. Mony sen aperçut bien lorsque après les
derniers soubresauts de volupté, il déchargea dans un vagin qui
sétait follement resserré et qui tétait le vit
jusquà la dernière goutte...
- Raconte-moi ton histoire, dit Mony à Kilyému tandis
quon entendait dans le coin les hoquets cyniques de
Cornabux et de la négresse.
Kilyému sassit:
- Je suis, dit-elle, la fille dun joueur de sammisen, cest
une sorte de guitare, on en joue au théâtre. Mon père figurait
le choeur et, jouant des airs tristes, récitait des histoires
lyriques et cadencées dans une loge grillée de
lavant-scène.
Ma mère, la belle Pêche de Juillet, jouait les principaux
rôles de ces longues pièces quaffectionne la dramaturgie
nipponne.
Je me souviens quon jouait Les Quarante-sept Roonins, La
Belle Siguenaï ou bien Taïko.
Notre troupe allait de ville en ville, et cette nature admirable
où jai grandi se représente toujours à ma mémoire dans
les moments dabandon amoureux. Je grimpais dans les matsous,
Ces conifères géants; jallais voir se baigner dans
les rivières les beaux Samouraïs nus, dont la mentule énorme
navait aucune signification pour moi, à cette époque, et
je riais avec les servantes jolies et hilares qui venaient les
essuyer.
Oh! faire lamour dans mon pays toujours fleuri! Aimer un
lutteur trapu sous des cerisiers roses et descendre des collines
en sembrassant!
Un matelot, en permission de la Compagnie du Nippon Josen
Katsha et qui était mon cousin, me prit un jour ma
virginité.
Mon père et ma mère jouaient Le Grand Voleur et la salle
était comble. Mon cousin memmena promener. Javais
treize ans. Il avait voyagé en Europe et me racontait les
merveilles dun univers que jignorais. Il mamena
dans un jardin désert plein diris, de camélias rouge
sombre, de lys jaunes et de lotos pareils à ma langue tant ils
étaient joliment roses. Là, il membrassa et me demanda si
javais fait lamour, je lui dis que non. Alors, il
défit mon kimono et me chatouilla les seins, cela me fit rire
mais je devins très sérieuse lorsquil eut mis dans ma
main un membre dur, gros et long.
- Que veux-tu en faire? lui demandai-je.
Sans me répondre, il me coucha, me mit les jambes à nu et me
dardant sa langue dans la bouche, il pénétra ma virginité.
Jeus la force de pousser un cri qui dut troubler les
graminées et les beaux chrysanthèmes du grand jardin désert,
mais aussitôt la volupté séveilla en moi.
Un armurier menleva ensuite, il était beau comme le
Daïboux de Kamakoura, et il faut parler religieusement de sa
verge qui semblait de bronze doré et qui était inépuisable.
Tous les soirs avant lamour je me croyais insatiable mais
lorsque javais senti quinze fois la chaude semence
sépancher dans ma vulve, je devais lui offrir ma croupe
lasse pour quil pût sy satisfaire, ou lorsque
jétais trop fatiguée, je prenais son membre dans la
bouche et le suçais jusquà ce quil mordonnât
de cesser! Il se tua pour obéir aux prescriptions du Bushido, et
en accomplissant cet acte chevaleresque me laissa seule et
inconsolée.
Un Anglais de Yokohama me recueillit. Il sentait le cadavre comme
tous les Européens, et longtemps je ne pus me faire à cette
odeur. Aussi le suppliais-je de menculer pour ne pas voir
devant moi sa face bestiale à favoris roux. Pourtant à la fin
je mhabituai à lui et, comme il était sous ma domination,
je le forçais à me lécher la vulve jusquà ce que sa
langue, prise de crampe, ne pût plus remuer.
Une amie dont javais fait connaissance à Tokyo et que
jaimais à la folie venait me consoler.
Elle était jolie comme le printemps et il semblait que deux
abeilles étaient toujours posées sur la pointe de ses seins.
Nous nous satisfaisions avec un morceau de marbre jaune taillé
par les deux bouts en forme de vit. Nous étions insatiables et,
dans les bras lune de lautre, éperdues, écumantes
et hurlantes, nous nous agitions furieusement comme deux chiens
qui veulent ronger le même os.
LAnglais un jour devint fou; il se croyait le Shogun et
voulait enculer le Mikado.
On lemmena et je fis la putain en compagnie de mon amie
jusquau jour où je devins amoureuse dun Allemand,
grand, fort, imberbe, qui avait un grand vit -inépuisable. Il me
battait et je lembrassais en pleurant. A la fin, rouée de
coups, il me faisait laumône de son vit et je jouissais
comme une possédée en létreignant de toutes mes forces.
Un jour nous prîmes le bateau, il memmena à Shangaï et
me vendit à une maquerelle. Puis il sen alla, mon bel
Egon, sans tourner la tête, me laissant désespérée, avec les
femmes du bordel qui riaient de moi. Elles mapprirent bien
le métier, mais lorsque jaurai beaucoup dargent je
men irai, en honnête femme, par le monde pour trouver mon
Egon, sentir encore une fois son membre dans ma vulve
et mourir en pensant aux arbres
roses du Japon.
La petite Japonaise, droite et sérieuse, sen alla comme
une ombre, laissant Mony, les larmes aux yeux, réfléchir à la
fragilité des passions humaines.
Editions, "J'ai lu", préface de Michel Décaudin
Je mettrai simplement en regard à ce texte, un poème de Calligrammes qui m'a toujours ému profondément, tellement il entremêle désir et mort, désir et vertige,
où l'on retrouve les mêmes images et pressentiments: bombardements, fête, seins, dévoilement orgiaque, mort, paradigme des roses
Fête
Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégraphe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance
Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche
L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses